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théâtre L'éloge de l'âne ou la vie brulée de Giordano Bruno Compagnie Michel Vericel | ||
| De lâne
De Machiavel à Agrippa, de Folengo à lArétin, de Sebastian Brant à Rabelais, le symbole de lâne revient avec insistance dans la littérature du XVIe siècle, mais son rôle devient décisif dans lExpulsion de la bête triomphante de Giordano Bruno, comme dans sa Cabale du cheval de Pégase. À lasinité négative - oisiveté, arrogance, unidimensionnalité -, Bruno oppose une asinité positive prônant les trois qualités divines de lhomme : labeur, humilité, tolérance. Lâne dans la perspective brunienne à la double nature des silènes, si chers à Diogène, Aristophane et Rabelais : derrière son apparence vulgaire, voire scatologique, se dissimulent des trésors dintelligence, de sensibilité, de beauté et de bonté. | ||||
Lactualité de Bruno Dominicain apostat, Bruno prend tous les risques pour simposer comme philosophe. Voilà pourquoi ses adhésions religieuses successives, au catholicisme, au calvinisme, au luthéranisme, ne sont en aucune manière opportunistes, puisquelles traduisent, au contraire, et à chaque fois, la même nécessité : celle de se débarrasser de la prérogative théologique. Car selon lui, seuls les philosophes sont en droit de rechercher la vérité, les théologiens - de préférence catholiques - nayant quà se réserver le domaine de la question civile, leur mission consistant uniquement à préserver les intérêts de lÉglise en éduquant la communauté chrétienne. On comprend le parti que lon peut aujourdhui tirer de cet exemple. À lheure où le fanatisme religieux refait surface, à lheure où lon condamne à mort des Salman Rushdie et des Taslima Nasreen et où lon assassine au nom de Dieu, la vie et la pensée de Bruno à travers le temps nous adressent un message de résistance, un message dautant plus tolérant quil ne se fonde pas sur lexclusion du religieux mais sur la détermination de sa fonction sociale. Sans être le partisan de quelque laïcité, parler ici de laïcité serait faire preuve danachronisme, Bruno se pose la question du statut de lÉglise dans son rapport avec la recherche de la Vérité. De plus, Bruno ne sest pas satisfait dune solution toute théorique. En refusant de se rétracter, position tenace qui la conduit finalement à la mort, il a tenu à faire se rejoindre la philosophie comme discours et la philosophie comme mode de vie. Il a ainsi soutenu le principe suivant lequel une pensée privée de sa mise en pratique nest pas une pensée accomplie. Extrait de la conférence de Bertrand Levergeois, traducteur et biographe de Bruno ("Giordano Bruno" chez Fayard), prononcée au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris le 7 juin 1996 en prélude à une représentation de "lÉloge de lâne". | |||||