UNE


note d'intention


mettre en scène


la compagnie


Claire Rengade





mettre en scène

On est des écrivains du plateau.
Le plateau est épars, il épouse le lieu. L’espace de jeu est plein de joueurs, il est un lieu public.
Au même endroit, prolongés les uns dans les autres, il peut y avoir une sorte de confusion entre ceux qui jouent. Pas d’inconscience collective, pas de consommation.
Tous au même endroit.
Pas de coulisses, pas de front.
Des distances et des encerclements.
Mais avec.
L’acteur n’est pas psychologique, il touche.
Et vice versa.
Le texte contient en lui le personnage, l’acteur donne un type de respiration au texte, via celle qui lui est propre; il travaille à oraliser ce qui est écrit, c'est à dire à oublier la page au profit des images, il sait que dire c'est mettre en images concrètes, il m’ apprend une ponctuation de l'oral.
Son intimité avec le public est réelle, l'acteur est toujours au présent, il en a toujours conscience, le présent est son partenaire de jeu qu'il ne sait pas, il garantit le vivant. Le public agite l'acteur de propositions différentes, l'acteur n'en est pas esclave, il n'en est pas maître non plus: l'acteur et le spectateur ont une égale part de manipulation. Ils se mêlent, ils sont les créateurs du spectacle vivant.

Je suis d'un théâtre inscrit dans la vie, je forge sur le vivant.

Il me faut du temps pour rencontrer un acteur, il me faut l'avoir vu souvent, pas seulement jouer, il faut que j'ai envie de rester avec lui, que j'ai du plaisir à le regarder vivre et à l'écouter, que j'aie mangé avec lui, marché avec lui. Je dis acteur ou interprète, aussi pour les non-officiellement comédiens. Il y a donc forcément une part affective dans ma distribution, qui est une composition très précise de mises en présences visant à former une équipe. Un interprète va m'inspirer pour ce qu'il est, beaucoup plus que pour ce qu'il a fait.

Je ne représente que rarement un personnage, et jamais en entier, les comédiens ne sont pas maquillés par exemple. Je cherche l'accessoire qui va ébaucher une image dont je pourrais avoir besoin, je m'y arrête, et abandonne l'image dès qu'elle est lue. Les comédiens n'ont pas besoin de grimer leur voix pour rendre un autre âge ou un autre sexe ; ils ne prennent d'autres accents que les leurs, et s'ils doivent boiter, c'est parce qu'ils ont quelque chose dans les pieds. Je n'aime le faire semblant qu'en citation. L'acteur sonne avec ce qu'il est, et il est à la fois homme et femme, jeune et vieux. Il contient en lui tous les personnages, le texte l'y mène, l'image agit le corps dans la bonne résonance ; c'est, encore une fois, par le texte que l'acteur est surpris d'être un autre tout en restant lui-même.

Les équipes de création ont un temps de vie collective : il m'importe de pouvoir nous observer dans d'autres décors, et dans les moments où l'acteur lâche, s'approche de lui parce qu'il mange, parce qu'il marche sur un chemin. Je trouve des alibis de déplacements, j'ai besoin que les acteurs se fabriquent entre eux une mémoire de leurs corps ensemble, j'aime les entasser dans une voiture ou qu'ils se prêtent leur dentifrice. On fabrique avec rien un carnet d'images commun, je découvre dans leurs mouvements d'autres courbes que celles du plateau.

Je veux qu'on aille au monde pour parler de lui, que les acteurs vivent avec le public, qu'on réside chez l'habitant, qu'on suive des passants en ville et qu'on expérimente avec eux des premières fois qui mettent le corps en jeu, que l'on soit ébranlés par ce qu'on croit savoir. J'aime que les acteurs connaissent le lieu où ils vont dire comme un lieu habité. Cela nous rend disponibles à la création, qui nous impressionne au lieu qu'on la torde sous nos doigts.

Je mets en scène un théâtre contemporain : mes spectacles sont des bains, des immersions au monde; les répétitions ressemblent à ce qu'on fabrique, en moins spectaculaire; après tous ces vécus, tous ces accessoires, ces costumes, ces décors en vrai, ce texte dit de loin en glissant d'une montagne, ne reste presque que les acteurs, plus qu'un objet qui a pris l'air qu'on va respirer maintenant.

Claire Rengade - juin 2005