mettre en scène On est des écrivains du plateau. Je suis d'un théâtre inscrit dans la vie, je forge sur le vivant. Il me faut du temps pour rencontrer un acteur, il me faut l'avoir vu souvent, pas seulement jouer, il faut que j'ai envie de rester avec lui, que j'ai du plaisir à le regarder vivre et à l'écouter, que j'aie mangé avec lui, marché avec lui. Je dis acteur ou interprète, aussi pour les non-officiellement comédiens. Il y a donc forcément une part affective dans ma distribution, qui est une composition très précise de mises en présences visant à former une équipe. Un interprète va m'inspirer pour ce qu'il est, beaucoup plus que pour ce qu'il a fait. Je ne représente que rarement un personnage, et jamais en entier, les comédiens ne sont pas maquillés par exemple. Je cherche l'accessoire qui va ébaucher une image dont je pourrais avoir besoin, je m'y arrête, et abandonne l'image dès qu'elle est lue. Les comédiens n'ont pas besoin de grimer leur voix pour rendre un autre âge ou un autre sexe ; ils ne prennent d'autres accents que les leurs, et s'ils doivent boiter, c'est parce qu'ils ont quelque chose dans les pieds. Je n'aime le faire semblant qu'en citation. L'acteur sonne avec ce qu'il est, et il est à la fois homme et femme, jeune et vieux. Il contient en lui tous les personnages, le texte l'y mène, l'image agit le corps dans la bonne résonance ; c'est, encore une fois, par le texte que l'acteur est surpris d'être un autre tout en restant lui-même. Les équipes de création ont un temps de vie collective : il m'importe de pouvoir nous observer dans d'autres décors, et dans les moments où l'acteur lâche, s'approche de lui parce qu'il mange, parce qu'il marche sur un chemin. Je trouve des alibis de déplacements, j'ai besoin que les acteurs se fabriquent entre eux une mémoire de leurs corps ensemble, j'aime les entasser dans une voiture ou qu'ils se prêtent leur dentifrice. On fabrique avec rien un carnet d'images commun, je découvre dans leurs mouvements d'autres courbes que celles du plateau. Je veux qu'on aille au monde pour parler de lui, que les acteurs vivent avec le public, qu'on réside chez l'habitant, qu'on suive des passants en ville et qu'on expérimente avec eux des premières fois qui mettent le corps en jeu, que l'on soit ébranlés par ce qu'on croit savoir. J'aime que les acteurs connaissent le lieu où ils vont dire comme un lieu habité. Cela nous rend disponibles à la création, qui nous impressionne au lieu qu'on la torde sous nos doigts. Je mets en scène un théâtre contemporain : mes spectacles sont des bains, des immersions au monde; les répétitions ressemblent à ce qu'on fabrique, en moins spectaculaire; après tous ces vécus, tous ces accessoires, ces costumes, ces décors en vrai, ce texte dit de loin en glissant d'une montagne, ne reste presque que les acteurs, plus qu'un objet qui a pris l'air qu'on va respirer maintenant. Claire Rengade - juin 2005 | ||