29 avril à 19h30
30 avril à 19h30

une sale histoire

théâtre - Scarface Ensemble

Fedor Dostoïevski


Un projet polyphonique

Marc Henri Boisse au premier plan <br />

Partie de la figure de Netchaïev, nihiliste contemporain de Dostoïevski, cité par Gorki comme figure de l’extrême, mon désir fut, dans un premier temps de partir du roman "Les démons" et de travailler en kaléidoscope à partir d’éclats du texte donnant à entendre l’effervescence révolutionnaire dans une ville de province où se prépare un attentat terroriste. J’avais le souvenir, toujours actif, du testament de Mohamed Atta, publié dans Le Monde quelques jours après les attentats du 11 septembre (article utilisé par Michel Vinaver dans son oratorio sur l’événement) : aucune femme ne devait approcher son corps ou en toucher les parties génitales après l’explosion, tel était, vite dit, le contenu du message. La folie du propos avait retenu mon attention et l’association hâtive s’est faite en découvrant le personnage de Netchaïev tel qu’il peut être évoqué de-ci de-là, dans différents écrits autour de la période dostoïevskienne.

Après une longue période de confusion , il n’était pas question pour moi de rendre fluide et linéaire ce qui chez Dostoïevski reste un total mystère (tout ou presque se dit, rien ne s’explique) l’idée s’est imposée d’aborder la question en partant d’un texte apparemment à une voix de l’auteur et de travailler la mise en abîme d’un seul personnage dans un système à inventer de contrepoints visuels, sonores et textuels. Une quinzaine de scénarios ou agencements sont alors apparus, restait à éliminer, ce qui n’est jamais une mince affaire.

Aujourd’hui, le projet est donc de partir du texte de "La douce", des extraits de "Les Démons" et de tester jusqu’où il est possible d’aller sans totalement s’y perdre avec ce projet polyphonique pour utiliser le terme de Mikhaïl Bakhtine dans sa Poétique de Dostoïevski et qui néanmoins tournerait autour du rapport entre suicide et terrorisme, entre chaos et dépression, entre changement radical de perception du monde et catastrophe. «La complexité, la contradiction, le multivocalisme, les conflits réels de l’époque de Dostoïevski, sa qualité de roturier et de "pèlerin social",  sa profonde participation biographique et intérieure à la multiplicité objective des plans de la vie, et enfin la faculté de voir le monde à travers les interactions et les coexistences, tout cela a préparé le terrain sur lequel s’est ensuite développé son roman polyphonique. (…)

Ainsi donc, le monde de Dostoïevski est la coexistence et l’interaction artistiquement organisées de divers mondes spirituels et non une série d’étapes du devenir d’un esprit unique. C’est pourquoi les univers des personnages, les plans du roman, malgré leurs différents accents hiérarchiques, sont placés sur un même niveau de la coexistence (comme les mondes de Dante), au lieu de se succéder en tant qu’étapes du devenir. Cela n’est nullement le signe d’une impasse logique, d’un manque de réflexion, d’une contradiction subjective stérile (…).  Il serait vain d’y chercher un achèvement philosophique, monologique, même dialectique non pas que cela soit du à une maladresse de l’auteur, plus simplement cet achèvement ne faisait pas partie de son dessein.» 
Mikhail Bakhtine in La Poétique de Dostoïevski, Moscou 1929

Ce dessein, qui dorénavant est le mien et bientôt sera celui de l’équipe, je l’espère, correspond au plus près à ce qui est à l’heure d’aujourd’hui mon projet théâtral : comment rendre compte de la complexité et de la déception, serions-nous les premiers à vivre l’annonce d’une transformation radicale ?   Hier, le journal annonçait que dorénavant les chômeurs d’ici pouvaient aller travailler ailleurs. « Dostoïevski n’a jamais éprouvé cette répulsion, propre aux gens de sa formation intellectuelle, à l’égard d’une page de journal, ce dégoût méprisant pour la presse quotidienne qu’affichaient Hoffmann, Shoppenhauer, Flaubert, etc.  « Recevez-vous les journaux ? - demande-t-il à une de ses correspondantes en 1867 - Lisez-les et je vous en prie, on ne peut s’en passer de nos jours, non parce que c’est la mode, mais parce que le lien entre toutes les affaires, publiques et privées, devient ainsi plus évident. »
Léonide Grossman cité par Mikhail Bakhtine in La Poétique de Dostoïevski, Moscou 1925

Elizabeth Marie
Mulhouse, mai 2005

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