jeu. [10] mars 20h30

1ère partie
Suzie Arioli

Robert Charlebois

Interview de
Robert Charlebois


normal
22,00 Euros
réduit
18,00 Euros




concert
robert charlebois
doux et sauvage
Interview

CHANSON.
Robert Charlebois, cow-boy doux et sauvage

Ambiance feu de camp et répertoire country, le chanteur québécois est à l’Européen à l’occasion de la sortie de son nouvel album.
Showman, chanteur bon vivant, à la fois tendre et bourru, Robert Charlebois a toujours su alterner rock psychédélique et chansons symphoniques, sentimentales, voire drolatiques (Lindberg, Ordinaire, Conception, les Ailes d’un ange). Avec Doux Sauvage, son nouvel album, il donne dans les grands espaces, s’accompagnant à la guitare. Tel un cow-boy solitaire qui aujourd’hui s’apprête à se produire à l’Européen, avec une petite formule : basse, guitare, batterie, violon. Pour son retour sur scène, il promet une ambiance feu de camp, à l’image de l’esprit country-folk de son nouveau répertoire. Un spectacle relativement intimiste, assez éloigné de la " la grosse formation avec cuivres " qu’on lui a connue avec la Maudite Tournée mais " ça va swinguer autant ", assure le chanteur québécois, jamais aussi heureux que lorsqu’il rencontre son public français.

" Doux " et " sauvage ", c’est vous dans la vie ?
Robert Charlebois. Tout le monde a un côté aigre-doux, doux et sauvage, tendre et dur. L’album, c’est un peu ça. Je n’ai pas une personnalité bipolaire comme certains qui vous sautent dans les bras, alors que le lendemain ils ne vous reconnaissent pas. Je suis plutôt équilibré, mais je peux changer comme le temps. J’ai mes saisons.

Votre univers est désormais plus folk, presque country.
Robert Charlebois. C’est un aboutissement naturel. Il y a quarante ans, au début de ma carrière, je faisais du jazz médiéval élisabéthain ! C’était bien avant Lindberg, avant la période psychédélique. Il y a eu deux ou trois albums où j’étais un cow-boy solitaire. Avec ma guitare, je faisais beaucoup de petits cabarets où je jouais devant une poignée de gens. Après, j’ai eu une grosse période rythm’n blues avec des murs de décibels, avec la Maudite Tournée qui a duré dix ans. À un moment donné, j’ai réalisé que je devenais une caricature de moi-même à force de faire le même show. J’ai tout stoppé pour redémarrer avec une nouvelle équipe et un nouvel orchestre. Voulant me rapprocher de ma génération, je me suis dit : " Que reste-t-il si on n’aime pas le hard-rock, la techno, le rap, ni la guimauve ? " C’est comme ça que je me suis dirigé vers la country, même si c’est un mot qui fait peur. Cabrel, Renaud, Linda Lemay... c’est de la country finalement, de la musique qui raconte une histoire simple avec un couplet, un refrain. Pour moi, c’est ça la country. Ça n’oblige pas à faire dans la caricature du cow-boy avec le chapeau et les bottes.

On a l’impression que vous en profitez pour faire le bilan de votre vie.
Robert Charlebois. C’est à cause de la chanson d’ouverture, C’était une très bonne année. Ce texte est une traduction du poète Erwin N. Drake, une chanson que Sinatra avait créée en 1967. Il faut avoir cinquante ans pour chanter ça. Cela donne une couleur nostalgique. Mais, par tempérament, je crois au pouvoir du présent, même si le temps a passé. Il faut que ça serve à quelque chose de vieillir ! Si j’étais nostalgique, ce serait des années soixante-dix. Je m’ennuie des géants de la chanson, des grands qui nous ont quittés. Brel, Brassens, Ferré, Barbara, Félix Leclerc, Gainsbourg. Ce sont des grands frères qui m’ont donné envie de venir à la chanson comme auteur-compositeur. Je n’ai jamais pensé que j’avais une voix comme celle de Sardou ou de Pavarotti. J’ai chanté parce que j’avais des choses à dire. Je crois que j’ai réussi à ne jamais faire de chansons insignifiantes.

Et la relève des chanteurs québécois ?
Robert Charlebois. C’est surtout des voix. Il y a beaucoup de chanteurs qui sont de bons interprètes. Hormis Linda Lemay, en France, il n’y a aucun auteur-compositeur québécois depuis les années soixante-dix. Les bons, les Jean Leloup, les Richard Desjardin..., on n’en parle jamais ici. Ce qu’on a, c’est la grosse chanson populaire, belle, mais formatée pour la radio française, faite par des équipes françaises. Avec des voix québécoises, dans le registre de la variété. C’est bon la guimauve, mais pas tous les jours !
Une chanson, c’est quoi selon vous ?
Robert Charlebois. La poésie de tous les jours. Elle doit être simple pour parvenir à toucher. Tant mieux si les textes résistent à la lecture, comme c’est le cas de Brassens ou de Ferré. Je ne me prends pas pour un poète. Je suis un homme poétique, c’est tout. C’est Brassens qui disait que même si Baudelaire écrivait mille fois mieux que nous il n’avait pas su trouver le bon mot avec la bonne note. C’est ça la chanson. C’est l’heureux mariage des mots et de la musique qui fait qu’elle peut amuser ou bouleverser.

Vous qui avez beaucoup ouvré pour la francophonie, quelle idée vous faites-vous de la langue française ?
Robert Charlebois. Chanter en français en Amérique du Nord, c’est déjà un engagement en soi. Peu importe le statut du Québec - on sera toujours entouré de 300 millions d’anglophones -, il faut garder cette langue. Si on la perd, on n’a plus de culture. La chanson est le meilleur ciment de la culture québécoise.

Pensez-vous que la chanson francophone soit en danger ?
Robert Charlebois. Très. Au Québec, on sait que le loup est dans la bergerie. Ici, en Europe, vous ne le sentez pas trop. À la Star Academy, ils chantent plus souvent en anglais qu’en français, en imitant les accents des chanteurs anglophones. Où est la vérité là-dedans ? On peut être un interprète et un créateur aussi, comme Édith Piaf, Yves Montant, Sinatra ou Presley. Ils ont apporté quelque chose en étant uniques.
Vous trouvez que l’état d’esprit en France a changé ?
Robert Charlebois. Énormément. Peut-être à cause des sitcoms ou des mauvaises émissions de variétés qui ont donné lieu à Star Ac. À part Drucker, il n’y a plus rien pour les chanteurs. La Star Ac est un sacré coup de projecteur pour un artiste. S’il est prêt. Parce que la chance, elle passe. Je pense que le temps méprise ce que l’on fait sans lui. J’estime que c’est un cadeau d’avoir pu travailler dans les petits lieux, comme je l’ai fait pendant cinq ou six ans. Ça m’a appris mon métier. Sans vouloir me comparer à lui, Bob Dylan lui aussi a chanté longtemps dans les petites boîtes à New York. Il n’est pas arrivé comme ça. Il avait des munitions quand la chance lui a souri à Woodstock.

Entretien réalisé par Victor Hache