| CHANSON. Robert Charlebois, cow-boy doux et sauvage Ambiance feu de camp et répertoire country, le chanteur québécois est à lEuropéen à loccasion de la sortie de son nouvel album. Showman, chanteur bon vivant, à la fois tendre et bourru, Robert Charlebois a toujours su alterner rock psychédélique et chansons symphoniques, sentimentales, voire drolatiques (Lindberg, Ordinaire, Conception, les Ailes dun ange). Avec Doux Sauvage, son nouvel album, il donne dans les grands espaces, saccompagnant à la guitare. Tel un cow-boy solitaire qui aujourdhui sapprête à se produire à lEuropéen, avec une petite formule : basse, guitare, batterie, violon. Pour son retour sur scène, il promet une ambiance feu de camp, à limage de lesprit country-folk de son nouveau répertoire. Un spectacle relativement intimiste, assez éloigné de la " la grosse formation avec cuivres " quon lui a connue avec la Maudite Tournée mais " ça va swinguer autant ", assure le chanteur québécois, jamais aussi heureux que lorsquil rencontre son public français. " Doux " et " sauvage ", cest vous dans la vie ? Robert Charlebois. Tout le monde a un côté aigre-doux, doux et sauvage, tendre et dur. Lalbum, cest un peu ça. Je nai pas une personnalité bipolaire comme certains qui vous sautent dans les bras, alors que le lendemain ils ne vous reconnaissent pas. Je suis plutôt équilibré, mais je peux changer comme le temps. Jai mes saisons. Votre univers est désormais plus folk, presque country. Robert Charlebois. Cest un aboutissement naturel. Il y a quarante ans, au début de ma carrière, je faisais du jazz médiéval élisabéthain ! Cétait bien avant Lindberg, avant la période psychédélique. Il y a eu deux ou trois albums où jétais un cow-boy solitaire. Avec ma guitare, je faisais beaucoup de petits cabarets où je jouais devant une poignée de gens. Après, jai eu une grosse période rythmn blues avec des murs de décibels, avec la Maudite Tournée qui a duré dix ans. À un moment donné, jai réalisé que je devenais une caricature de moi-même à force de faire le même show. Jai tout stoppé pour redémarrer avec une nouvelle équipe et un nouvel orchestre. Voulant me rapprocher de ma génération, je me suis dit : " Que reste-t-il si on naime pas le hard-rock, la techno, le rap, ni la guimauve ? " Cest comme ça que je me suis dirigé vers la country, même si cest un mot qui fait peur. Cabrel, Renaud, Linda Lemay... cest de la country finalement, de la musique qui raconte une histoire simple avec un couplet, un refrain. Pour moi, cest ça la country. Ça noblige pas à faire dans la caricature du cow-boy avec le chapeau et les bottes. On a limpression que vous en profitez pour faire le bilan de votre vie. Robert Charlebois. Cest à cause de la chanson douverture, Cétait une très bonne année. Ce texte est une traduction du poète Erwin N. Drake, une chanson que Sinatra avait créée en 1967. Il faut avoir cinquante ans pour chanter ça. Cela donne une couleur nostalgique. Mais, par tempérament, je crois au pouvoir du présent, même si le temps a passé. Il faut que ça serve à quelque chose de vieillir ! Si jétais nostalgique, ce serait des années soixante-dix. Je mennuie des géants de la chanson, des grands qui nous ont quittés. Brel, Brassens, Ferré, Barbara, Félix Leclerc, Gainsbourg. Ce sont des grands frères qui mont donné envie de venir à la chanson comme auteur-compositeur. Je nai jamais pensé que javais une voix comme celle de Sardou ou de Pavarotti. Jai chanté parce que javais des choses à dire. Je crois que jai réussi à ne jamais faire de chansons insignifiantes. Et la relève des chanteurs québécois ? Robert Charlebois. Cest surtout des voix. Il y a beaucoup de chanteurs qui sont de bons interprètes. Hormis Linda Lemay, en France, il ny a aucun auteur-compositeur québécois depuis les années soixante-dix. Les bons, les Jean Leloup, les Richard Desjardin..., on nen parle jamais ici. Ce quon a, cest la grosse chanson populaire, belle, mais formatée pour la radio française, faite par des équipes françaises. Avec des voix québécoises, dans le registre de la variété. Cest bon la guimauve, mais pas tous les jours ! Une chanson, cest quoi selon vous ? Robert Charlebois. La poésie de tous les jours. Elle doit être simple pour parvenir à toucher. Tant mieux si les textes résistent à la lecture, comme cest le cas de Brassens ou de Ferré. Je ne me prends pas pour un poète. Je suis un homme poétique, cest tout. Cest Brassens qui disait que même si Baudelaire écrivait mille fois mieux que nous il navait pas su trouver le bon mot avec la bonne note. Cest ça la chanson. Cest lheureux mariage des mots et de la musique qui fait quelle peut amuser ou bouleverser. Vous qui avez beaucoup ouvré pour la francophonie, quelle idée vous faites-vous de la langue française ? Robert Charlebois. Chanter en français en Amérique du Nord, cest déjà un engagement en soi. Peu importe le statut du Québec - on sera toujours entouré de 300 millions danglophones -, il faut garder cette langue. Si on la perd, on na plus de culture. La chanson est le meilleur ciment de la culture québécoise. Pensez-vous que la chanson francophone soit en danger ? Robert Charlebois. Très. Au Québec, on sait que le loup est dans la bergerie. Ici, en Europe, vous ne le sentez pas trop. À la Star Academy, ils chantent plus souvent en anglais quen français, en imitant les accents des chanteurs anglophones. Où est la vérité là-dedans ? On peut être un interprète et un créateur aussi, comme Édith Piaf, Yves Montant, Sinatra ou Presley. Ils ont apporté quelque chose en étant uniques. Vous trouvez que létat desprit en France a changé ? Robert Charlebois. Énormément. Peut-être à cause des sitcoms ou des mauvaises émissions de variétés qui ont donné lieu à Star Ac. À part Drucker, il ny a plus rien pour les chanteurs. La Star Ac est un sacré coup de projecteur pour un artiste. Sil est prêt. Parce que la chance, elle passe. Je pense que le temps méprise ce que lon fait sans lui. Jestime que cest un cadeau davoir pu travailler dans les petits lieux, comme je lai fait pendant cinq ou six ans. Ça ma appris mon métier. Sans vouloir me comparer à lui, Bob Dylan lui aussi a chanté longtemps dans les petites boîtes à New York. Il nest pas arrivé comme ça. Il avait des munitions quand la chance lui a souri à Woodstock. Entretien réalisé par Victor Hache
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