ven. [8] oct. 20h30
sam. [9] oct. 20h30

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intentions de
mise-en-scène

farce 1

farce 2

farce 3



normal
13,00 Euros
réduit
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spécial
7,00 Euros
scolaire
5,00 Euros


création théâtre
les farces
Raphaël Simonet - théâtre du lac
résumé
Jean Luc Raharimanana
Un écrivain fils d'Ulysse et des marécages malgaches
Propos recueillis par Florence Haguenauer, dans l’Humanité

J'adorais écouter parler mon père. Il était professeur d'histoire et de sociologie à l'université, et même tout petit, je m'installais dans un coin quand il recevait ses étudiants à la maison. Je l'entendais évoquer les Vazimbas, qui sont, dans notre mythologie, les premiers habitants de Madagascar, devenus pour les Malgaches des esprits importants, néfastes ou bienveillants. Et moi, d'une certaine manière... j'allais sur le terrain. Je me rendais dans les collines et les marécages sur lesquels courent toutes ces histoires. Des lieux mythiques et interdits qui me fascinaient. Je regardais. J'observais. Je rêvais. Mais il s'agissait aussi d'un lieu de jeux. Nous y allions en bandes, on fabriquait des radeaux de joncs. J'avais à l'époque entre huit et douze ans, une période où je racontais beaucoup de contes à mes copains.
À partir de douze ou treize ans, j'ai décidé que j'allais me raconter des histoires. Et j'ai pratiquement cessé mes visites aux marécages. Comme si je n'avais plus besoin de ces lieux magiques pour entrer dans le rêve. C'est au même moment que je me suis mis à lire. Beaucoup. Tout ce qui me tombait sous les yeux. Ces livres m'ont construit... avec les marécages.
Bien sûr, je ne serais pas le même écrivain si j'avais grandi ailleurs. C'est sans doute pourquoi mes livres recèlent tant de violences. Mes récits ne puisent pas dans mon seul imaginaire. Quand je jouais dans les collines, il m'arrivait de voir, dans des sachets de cellophane, des fœtus dépecés. Ou des cadavres dans le fleuve. La mort était très présente. En outre, j'habitais près de l'université d'où partaient toujours les manifestations. Je me faufilais à travers les militaires, je me cachais dans les arbres d'où je voyais la répression en direct... Une répression qui a souvent frappé mon père, opposant politique au régime. Il disparaissait, emmené par les services de sécurité. Nous nous posions des questions, on ne savait jamais quand il allait revenir.
Un autre événement, survenu l'année de mon baccalauréat, m'a beaucoup frappé, imprégné. Il y avait à Tananarive un orphelinat, où vivaient des enfants des rues considérés à tort ou à raison par la population comme étant à la solde du régime. Un jour, un autre groupe de jeunes, adeptes du kung fu, armés et sachant parfaitement se battre, a décidé de mettre le feu à l'orphelinat et de faire la police. Ce fut une effroyable tuerie. Une centaine de morts. J'ai vu des têtes coupées... Je n'avais jamais voulu écrire là-dessus. C'était trop dur. Je l'avais profondément refoulé. Mais lors des massacres du Rwanda, j'ai revécu à la puissance mille ce que j'avais vécu à ce moment-là. Je ne pouvais pas ne pas l'écrire. J'en ai eu besoin. C'était vital. Impossible de le laisser enfoui plus longtemps.

Si je me nourris de ce que j'ai vu et ressenti, il y a dans mes textes une part importante de transformation. Le fait d'utiliser le français me permet aussi de déraper vers d'autres imaginaires. Je prends tel mot français, je le charge de ma culture malgache, je le détourne et il devient autre chose. Ce n'est ni malgache, ni français. Je me construis un pays.