Du conte au théâtre
Il y a plusieurs années, Teresa Motta me raconta une courte fable qui circule depuis des temps immémoriaux d’un pays à l’autre.

A l’époque, nous disions : "Fable exemplaire, limpide, lumineuse, sur la justice qui doit être égale pour tous, les rapports de pouvoir et de domination, sur l’autorité et la désobéissance nécessaires, sur les murmures du peuple, sur le dévoilement et les difficultés de la décision, sur la ruse nécessaire pour garder sa vie, sur la contrainte et l’ordre, sur l’appel de la terre et les pouvoirs du cosmos, sur le vent, sur...". Fable pleine de mille sens, que chaque lecteur et spectateur peuvent encore enrichir. C’était l’époque où le théâtre renouait avec les contes et légendes, se ressourçait en y puisant une autre inspiration, que ce soit pour l’écriture ou pour le langage scénique.

L’enjeu était clair : passer du récit à une réelle pièce de théâtre, c’est-à-dire à un texte constitué de dialogues, de personnages, d’actions et d’événements scéniques, d’images potentielles, tous articulés à une histoire forte, vivante. Et redécouvrir aussi un théâtre de cérémonie où se combinent le poétique et même le ludique.

Aujourd’hui, nous savons encore plus combien tous ces matériaux de l’imaginaire ont permis, au long des années, de réinventer un théâtre au caractère universel et intemporel, sautant allégrement par-dessus les frontières et touchant un vaste public aux âges mêlés. Un véritable répertoire est né, propre au jeune public et le dépassant aussi.

Il s'agit d'un théâtre Tout Public comme on dit, c'est-à-dire, pour tous les âges. Un véritable courant de théâtre existe maintenant en ce domaine, correspondant à de nouveaux besoins du public, le besoin d'être ensemble.
Il y a, sans doute, pour beaucoup de metteurs en scène des textes fondateurs, des pièces propres à être revisitées qui, au long du temps, en de nouvelles époques, donnent ainsi la possibilité de trouver d'autre sens et d'autres esthétiques pour ce vaste public.

"Le Secret" en est un et ce fut ma première pièce écrite et mise en scène – par bonheur sélectionnée pour le Festival International de Nancy (en 1974 !) – m'ouvrant les portes de ce théâtre de l'Imaginaire que je retrouve régulièrement, soit à partir de contes, soit à partir d'auteurs comme Kipling, Lewis Carroll, Cendrars, Jarry : sur une trentaine de pièces, sept ou huit sont des adaptations ou versions théâtrales très personnelles de ces auteurs ou de ces matériaux anciens.

Mais le plus important est que "Le Secret" soit une œuvre ouverte sur laquelle j'ai pu revenir plusieurs fois, dont deux avec Michel Dieuaide. Cette mise en scène, la dernière, date de deux ans. C'est la forme intégrale du texte et une autre approche du jeu : beaucoup plus un théâtre du mouvement, faisant reculer le théâtre de récit, de narration, au profit de l'acte théâtral, plus physique donc pour l'acteur, plus fantastique, avec une création musicale originale de Jefferson Lembeye et aussi de nouveaux éclairages créant une atmosphère plus magique.

Au final, ce qui est sans doute le plus original – et fait exception par rapport aux autre œuvres – c'est l'échange immédiat, à chaud, avec le public, à la fin du spectacle. Et la capacité de l'acteur à passer du jeu à une rencontre dialoguée, vivante, spontanée et vivace, surprenante aussi par la richesse des idées, questions, opinions émises, tant l'imagination de chacun ainsi sollicitée peut être particulière et diverse.
Ces relations créatives construisent un regard plus intense, plus curieux. Elles s'ajoutent au plaisir du spectacle lui-même, nous rappelant que le quatrième mur, la barrière entre spectateurs et acteurs, peut être parfois rompue totalement pour la rencontre artistique.

Richard Demarcy, octobre 2002