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Le projet Orients traduit la constance de ce chemin, conjuguant la conscience politique et lexigence de la création. Elle réunit ici une formation acoustique de musiciens classiques et des artistes férus de nouvelles technologies : lOrchestre de Nazareth - grand orchestre classique oriental composé de vingt musiciens musulmans, juifs, chrétiens - deux électroniciens et une guitare flamenca.
Sapho nous offre ses dernières chansons françaises, associe la langue de Molière et ses convictions de femme. Dans une ornementation musicale née dune arithmétique arabe fabuleuse et dun retour à lélectronique, Orients offre la conciliation des extrêmes, le surgissement de lémotion dans la confrontation des arts qui se disputent la même recherche. Il reste au public occidental à découvrir quil bat du même coeur que celui de la Méditerranée africaine, et à sortir de la rencontre, ainsi que Sapho le murmure : " ayant débattu de la beauté ", les sens " hébétés après loued, sauvés de la nuit par lélégance ". "Orients" ou la musique comme une aventure humaine polyphonique. La TV crachait ses horreurs habituelles.
Mais, voilà, un incident, Sharon sur lesplanade des mosquées qui semblait majorer le désastre pour longtemps.
Dans cette fracture annoncée, jai senti un instant dramatique déterminant pour polluer tout ce qui avait pu souvrir dans cette région, pour radicaliser les identifications qui, à un monde islamique humilié, qui, à un Occident démocrate face à la "barbarie"
Que faire, moi, petite mouche dans cette affaire tristement internationale ?
Provoquer un livre - ce qui était encore en mon pouvoir -, un livre à 100 voix (Israéliens, Palestiniens, Européens, Américains - plutôt du sud, Africains - plutôt du nord, philosophes, poètes, historiens, écrivains, psychanalystes) où chacun écrivait un feuillet sur un mode subjectif, sensible, pas idéologique, pas politique ; il fallait traverser la surdité en parlant de soi plutôt que de se fourvoyer en profession de foi - ce fut la naissance de Un très Proche-Orient
Paru chez Joëlle Losfeld/Mango, avec les voix de Darwich, Derrida, Jean-Pierre Faye, Marc Petit, Israël Eliraz, Elias Sambar et 95 autres connues et moins connues
Le livre est envoyé sur les lieux du conflit (Jérusalem Est, Ouest, Ramallah, Tel-Aviv, Amman, Bagdad) et on me demande (les
instituts français qui font un superbe travail fort méconnu) de venir présenter ce livre et pourquoi pas de chanter avec les orchestres orientaux locaux, du " Oum Kalsoum ", peut-être ? - ah pas encore du Oum Kalsoum, mécriai-je malgré la passion que je porte à la dame et à sa musique.
Javais envie dune création comprenant certaines de mes nouvelles chansons ; je revenais à des sons électroniques que
javais longtemps désertés, agacée que jétais par lengouement par trop systématique de mes contemporains pour la techno, et je voulais y joindre un orchestre oriental.
Lorchestre oriental est pour moi un être vivant qui joue de
façon ineffable, autonome, une partition précise, certes mais toujours vibrante, émouvante, le contraire du machinique .
Faire se rencontrer ces deux mondes représentait déjà une tension que je ne voulais pas mesurer, prise que jétais dans mon habituelle témérité.
De lautre côté on me dit : Banco ! A Nazareth et à Bagdad,
Lionel Vairon, Serge Sobjinsky ainsi que Frédéric Marquet parient pour cet extravagant concert. Javais déjà chanté " El merguez ", chanson créée par Oum Kalsoum, avec lorchestre de Nazareth et jen gardai un souvenir si ému que jen écrivis un poème dans lavion qui me ramenait à Paris et ça disait : Lorchestre oriental quand il est bon est un corps vivant qui respire et enfle et sinsinue et décroît et serpente lorchestre oriental vibre comme une voix humaine il trémolle il gémit il chante il souffle il tire les notes et les abrège sans loi ni droit et pourtant cette hésitation est dune précision infinie.
Cet être sait aller là où la phrase touche dans le mille et la salle souffle et pleure avec lui. Lorchestre oriental quand il est bon se tait la quantité de comas quil faut pour que la salle soit en haleine, attendre avec passion lattaque en grande douceur du soliste qui entame le prochain mouvement de la chanson fleuve, lorchestre oriental est humain fragile et passionné lyrique à pleurer il trille et vrille et bat. Alors il rejoint dans le rythme une aisance joviale jubilatoire presque convenue et alors lorchestre oriental reprend sans vergogne ce quil a donné et revient dans la pénombre du son dans sa demi-teinte dans son secret dans ses ornements de murmure juste avant que la chanteuse ose une récitation elle aussi amorcée discrètement pour prendre une ampleur de marée et la réponse de lorchestre oriental ne se fait pas attendre, surdimensionnée. La foule dun orchestre oriental frémit avec chaque phrase et salue approuve semporte réclame Ah lorchestre oriental quand il est bon est une expérience de musique qui est le suc du Tarab une âme qui passe et meurt ce drôle de temps imparti très mystérieusement mesurable, ces fameuses parties lentes incommensurables mais qui se déclinent dans une certitude sorcière quelle fabuleuse arithmétique que celle qui se calcule entre une vingtaine trentaine de personnes à vue, sans formule, aléatoire et assurée lâchée et tenue lorchestre arabe quand il est bon lit une partition et senvole delle sans la quitter il ondule comme la plus sensuelle des sirènes il bat son coeur comme un homme au travail et nous ne sommes que sueur larmes écoulements au plus secret il embarrasse les distants et pour cela je fais des saluts de mes chapeaux réunis à lorchestre oriental !