La peur dévore l'âme

La peur dévore l'âme, texte français Michel DEUTSCH (L'Arche éditeur), scénario du film réalisé en 1973 par Rainer Werner FASSBINDER et sorti en France sous le titre "Tous les autres s'appellent Ali", dans une langue tendue et violente, cernant au plus près les désirs et les peurs des personnages, met en jeu, sous la lumière crue d'une société impitoyable, arrogante et repliée sur elle-même, une utopie d'amour.
Emmi et Salem, au regard des préjugés raciaux de l’Allemagne des années 70, n’ont pas d’espace pour s’aimer. Ils sont obligés d’avancer sur une route encombrée de haine, de frustrations et de jalousies jusqu'à ce qu’enfin leur amour soit toléré. Ils parviennent à gagner ce combat mais le prix qu’ils doivent payer dans leur chair et dans leur âme est encore bien trop lourd.
Et pourtant, nous ne sommes pas ici en présence d'un pessimisme radical, mais d'une lucidité infatigable qui jamais ne renonce à explorer les chemins de liberté.
La création "La peur dévore l'âme" n’est en fait pas exclusivement formée du texte éponyme, même si celui-ci constitue le cœur du spectacle.
Un court montage, construit à partir de fragments de l'œuvre de RAINER WERNER FASSBINDER (dialogues de films, répliques de pièces, extraits d'entretiens et d'interviews, poèmes parfois chantés ) ouvre le spectacle.
Ce montage met en jeu les membres d'une troupe de théâtre dirigée par un jeune auteur - metteur en scéne (double métaphorique de RAINER WERNER FASSBINDER) tyrannique mais profondément admiré et passionnément désiré par ses compagnons qui s'apprêtent à donner une générale publique du texte "La peur dévore l'âme".
A la suite d'une crise interne, les conflits, tels des fils tendus au dessus du vide, prêts à se rompre, se croisent, se superposent, se percutent, formant un oratorio incandescent, au paroxysme des intentions et des émotions...

Ces conflits privés font écho, comme de manière impromptue, dans un temps volé à la représentation, aux thématiques que traverse le texte de "La peur dévore l'âme".

(c) photo : David Anemian/Declics et des claps

La parole de RAINER WERNER FASSBINDER est une parole d'alarme et de résistance; elle nous est plus que jamais nécessaire au cœur d'une Europe où la peur de l'autre continue d'ouvrir la porte aux xénophobies destructrices...
Sur les multiples chemins de l'œuvre, les personnages centraux de RAINER WERNER FASSBINDER sont des exclus obstinés, des combattants pathétiques et farouches, désespérés et trop lucides. Ils ont une exigence si grande qu'ils refusent tout compromis; à la fois victimes et bourreaux, ils ne veulent plus être seuls dans leur tentatives d'envol.
Seul l'amour peut les sauver. Mais ils sont terriblement seuls face à l'inertie, à la lâcheté, à l'indifférence d'un corps social, politique et économique pour qui les qualités profondes d'un être humain et son aspiration au bonheur ne se trouvent pas au centre de l'espace du monde.
Combat de titan, à la fin duquel souvent ils se trouvent K.O. debout abandonnés, trahis, tels Maria Braun, Effi Briest, Lili Marleen, Franz Biberkopf, Maman Kûsters, etc...
Cependant, pour Emmi et Salem, l'étroit et périlleux chemin qui mène au " bonheur joyeux" reste ouvert ...

C.Taponard